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La suite de la chronique de Céline Barré sur la route des exilé-e-s dans les Balkans :

 

Frontière Serbie – Hongrie (Europe) – 16 septembre.

https://goo.gl/maps/ed85398TsUq

« We don’t want you here, understand ? »

Voilà ce que l’on entend en arrivant à Subotica, ville à la frontière serbo-hongroise. Nous descendons à cette gare routière pour prendre une correspondance pour Horgos, dernière ville avant la Hongrie. Un agent nous informe que nous pouvons prendre le bus de 15 h mais que les réfugiés devront attendre le bus de 18 h. Pourquoi ? Parce que le bus de 15 h est réservé pour nos enfants et pour les européens. Les réfugiés doivent attendre. Nous allons ensuite au guichet acheter un ticket. La vendeuse nous dit que le bus de 15 h est complet, qu’il faut attendre celui de 18 h, on se risque à dire que nous ne sommes pas réfugiés : elle s’excuse, nous pouvons prendre le bus de 15 h. Nous prendrons celui de 18 h, comme tout le monde. Celui de 15 h est parti quasiment vide, seulement rempli de serbes et d’européens. Le bus de 18 h emmènera plus de 100 personnes dont des enfants et des personnes âgées assis par terre.

Nous appelons un hôtel pour ce soir : 1ère question : « Are you Syrians ? Refugees ? ». « No, europeans. Why ? » « Because Europeans, Yes. Refugees, No ». Faudrait-il leur imposer des étoiles jaunes pour pouvoir mieux les identifier ces réfugiés ? Cela fait échos aux cours d’histoire au lycée, ceux qui nous expliquaient comment on avait été capable de rejeter des catégories de personnes. Le racisme, la xénophobie, la ségrégation. Ces mots font peur, ils sont tabous mais j’ai cette angoissante impression qu’ils sont d’actualité. Plus nous remontons l’Europe, plus la pression se ressent.

« We don’t want you here » ; cette phrase a été prononcée par l’agent de la gare, envers une personne demandant où il pouvait acheter son ticket de bus. Gêné, il ne s’est pas énervé, il est juste parti, silencieux. Être témoin de cette scène ne m’a pas fait réagir non plus. Pas de réaction. L’écœurement et la passivité prennent le dessus sur la colère.

La frontière entre la Serbie et la Hongrie a fermé hier soir. Les derniers « chanceux » ont pu passer la frontière. Pour les personnes avec lesquelles nous étions dans le bus, le parcours s’arrête ici, à Horgos. Le bus nous arrête au croisement d’un chemin de fer. Un panneau : « Border 3 km. Border will be closed at midnight ». C’était un message d’alerte daté d’hier. Aujourd’hui, c’est trop tard. Les familles ne savent pas où aller. Il faut quand même tenter. Il faudra marcher 3 km pour atteindre la frontière. Fermée. Murs barbelés, forces de l’ordre postées de l’autre côté. Le parcours s’arrête là. Une mère accompagnée de ses deux fils me demande « Border closed ? ». « Yes ». Elle s’effondre.

Il y a aussi ces 3 petites filles de 3 ans, des triplettes, qui jouent aux abords des grillages barbelés, cette grand-mère qui arrive en fauteuil roulant, cet ado à qui il manque une jambe. Plus d’une semaine de marche, de fatigue, de peur, de violence, de faim pour arriver ici, à Horgos, sorte de no man’s land grillagé. Pas d’eau, pas de nourriture. Ils mangent quand les gosses ? Ils dorment où ? Ici, ça ne semble être la préoccupation de personnes. On ne peut avoir qu’un sentiment de honte à l’égard de cette Europe sans pitié. Certains disent qu’il faut partir vers la Croatie qui se trouve à plusieurs centaines de kilomètres mais les serbes contrôlent, arrêtent et expulsent vers la Macédoine. La Hongrie a renforcé ses effectifs policiers, a installé l’armée. Les journaux serbes parlent de « 100 000 clandestins bloqués dans le pays dont des terroristes ». La propagande anti-migrants est bien là et l’Europe lui offre un beau terrain d’émancipation.

La nuit tombe et les triplettes dormiront dehors et ce, dans la plus grande indifférence européenne. Le ministre serbe a exhorté le gouvernement hongrois à revenir sur sa décision de stopper les entrées et demande de laisser rentrer « au moins les femmes et les enfants ». Ah enfin un peu d’humanité ! Les pères ? Qu’ils aillent défendre leurs pays au lieu de vouloir protéger leurs gosses !

Il règne ici une atmosphère de guerre sans comprendre qui est l’ennemi.