La suite de la chronique de Céline Barré sur les réfugiés dans les Balkans.
Lesbos – 8 septembre
https://goo.gl/maps/j9HjMFESLC42
Bons baisers d’Europe…
L’arrivée est prévue à 8h30 au p’tit matin. Plus nous nous rapprochons de la côte plus ce que je craignais se rapproche. Des centaines de tentes le long du quai, des mamans, des enfants, des vieillards sont bloqués là, sur l’île de Lesbos. Ils sont bloqués et attendent leur laisser passer et un Ferry ticket. Ce ticket qui leur permettra de rejoindre Athènes et l’Europe continentale. Certains doivent attendre parfois plus de 10 jours pour obtenir ce ticket, alors qu’il me faudra moins de 2 min pour l’acheter et quitter l’île ; détail sans importance pour moi, une chance inabordable pour d’autres.
Les rues de Mytilène sont bondées. Il fait plus de 35 degrés, les enfants épuisé(e)s, dorment par terre, dans les bras de leurs mères, de leurs pères, silencieux, exténué(e)s. Les touristes, les locaux, les commerçants, tout le monde semblent dépassés par cette situation mais le climat reste serein, accueillant. La Syrie, la Guerre, c’est à deux pays d’ici. Contrairement à Calais où la ségrégation ambiante interdit les réfugiés de rentrer dans des cafés, ici ça parle grec, arabe, farsi, perse, pachtou et français dans les bars.
Abdel Aziz a 13ans, il est arrivé il y a deux jours à Lesbos par bateau pneumatique. Accompagné de son frère jumeaux, de sa sœur enceinte de 6 mois et de son père, il m’aborde en me disant que son pays, c’est le plus beau du monde ! Damas c’est la plus belle capitale, même Paris et les Champs Élysées, à côté ça ne vaut rien ! il tente d’adoucir sa malice en me rappelant qu’on a de très bonnes équipes de foot… quand même…
Abdel Aziz, c’est le gosse qu’on ne montre pas dans les médias, trop souriant, trop joyeux pour correspondre aux images de masses migrantes, de centaines de personnes qui envahissent l’Europe… au plus grand bonheur du discours d’extrême droite.
Abdel Aziz sait que plus tard il sera docteur (ou joueur de foot), dans son pays, quand la guerre sera terminée. Tu crois que je pourrais avoir la double nationalité ? Franco-syrien ? Germano-syrien ? Son pays (le plus beau du monde) lui manque déjà. Il y a laissé sa mère trop affaiblie et ses cousins avec qui il aime jouer au foot. Il me questionne sur la France, sur le droit d’asile, sur les prises d’empreintes de forces. Il parait que les gens là-bas nous accueillent dans les gares en nous applaudissant, c’est vrai ça ? Je ne sais pas quoi lui répondre, oui il y a un élan de générosité en Europe, une prise de conscience qu’il nous faut accueillir. J’ai moi aussi vu la vidéo, de ces gamins applaudis à leurs arrivées. J’en ai vu d’autres aussi, de ces gamins qui sont actuellement bloqués aux frontières entre la Grèce et la Macédoine, entre la Serbie et la Hongrie. Et ces gosses ici, épuisés, sales, affaiblis. Abdel Aziz semble se protéger par ses rêves de docteur (ou de joueur de foot).
Il voit une carte de l’Europe dans mon sac, me demande de la sortir. On localise Lesbos, Athènes, Belgrade, Budapest, Berlin, Paris, Paris Saint Germain…on passe par l’Olympique de Marseille… Il m’explique qu’il connaît toutes les capitales d’Europe, et l’ensemble des équipes de foot de l’Europe… je n’en doute pas.
Il me demande la route, le chemin jusque l’Allemagne : combien de kilomètres ? Plus de 2000 km bonhomme. Son visage se durcit, vieillit. Il regarde sa grande sœur enceinte de 6 mois qui lui sourit avec bienveillance… No Mouchkila ! No Problem ! we are safe now…
Je repense alors à mon voyage pour venir jusqu’ici, jusqu’à lui. 4 jours de rencontres où je décide de prendre le bus ou le train ou l’avion. Je me risque au stop pour finalement opter pour le train. J’hésite à prendre l’avion pour venir jusqu’à Lesbos mais je prends le bateau… Voyage qui me coûte 150 euros, pour lequel je n’ai pas montré une seule fois mon passeport, mon identité, car j’ai cette belle gueule, celle qui passe partout, sans papiers… La gueule européenne. Les frontières existent pour Abdel, 13 ans, elles sont quasi inexistantes pour moi. Le voyage d’Abdel a débuté il y a plus d’un mois, fuyant la Syrie vers la Turquie, tout en soignant le traumatisme de quitter sa mère, restée au pays car le voyage lui sera trop difficile. Pas de visa, pas de possibilité de rejoindre légalement l’Europe. Prendre l’avion ? Abdel… voyons… résignes toi… Ce luxe est réservé aux européens…
Abdel, ton voyage durera environ 2 à 3 mois, tu devras traverser de nombreux frontières, tu devras passer sous des clôtures barbelées, sous la pluie, en pleine nuit. Abdel, tu devras être discret, tu n’es pas encore considéré comme réfugié. Pour le moment tu es dans la catégorie « migrant en transit »… Patience…
Tu devras, du haut de tes 13ans, dépasser ta peur de la police, des matraques, du gaz lacrymogène. Tu devras peut-être avoir recours à des passeurs, à des mafias. Tu devras comme aujourd’hui à Lesbos, dormir dehors, sur des cartons, dans des gares s’ils acceptent ta présence, dans des squats, des hangars.
Une fois arrivé en Allemagne ou en France, tu auras peut être la chance de rencontrer des gens bienveillants qui t’accueillerons mais si ce n’est pas le cas, tu seras « transféré » dans des centres d’accueil, où d’autres garçons de ton âge attendent d’être considérés comme étant « légaux » sur le territoire. En France, cette procédure peut durer jusqu’à 2ans. Pour cela, ton papa devra justifier de vos persécutions. Il faudra que ton papa soit convainquant, qu’ils donnent le plus de détails. Oui ton papa devra peut-être justifier le fait que ta maman soit restée au pays. Peut-être peut-il mentionner que vous aviez fait une demande de visa mais qu’elle a été refusée. L’Europe préfère vous accueillir après 3 à 4 mois de parcours du combattant. Des papiers européens, ça s’mérite mon p’tit bonhomme !