La suite de la chronique de Céline Barré dans les Balkans sur la route des exilé-e-s.
Horgos. Frontière Hongroise – 18 septembre.
https://goo.gl/maps/ed85398TsUq
3000 personnes bloquées à cette frontière. Un mur, des barbelés, des policiers hongrois et un drapeau européen qui flotte au loin. Il fait chaud et il n’y a qu’un point d’eau pour 3000 personnes. Les gens sont assis devant les barrières barbelées, la foule scande « We love Hungaria, we love hungarian police», « we want to go to germany », « we want freedom ».
Des enfants syriens répètent naïvement « open the door, open the door ».
Ces gens ne veulent que traverser la Hongrie, ils ne veulent pas y rester, juste continuer leurs parcours.
La tension monte. Du côté hongrois, on ramène un char à eau, sorte de karcher à très haute pression. Les familles espèrent pouvoir passer alors ils ont leurs sacs sur le dos et les gosses dans leurs bras. Un groupe de 10 personnes s’énerve et finit par ouvrir la première barrière. Un cri de joie, d’espoir mais qui dure le temps de quelques secondes. La police hongroise charge, gaze la foule.
Près de moi, une famille avec un bébé de 6 mois se fait gazer. Le bébé suffoque, la mère panique. La foule fait demi-tour et de nombreux enfants tombent par terre, se font piétiner. La police continue de gazer.
Ce gaz lacrymogène brûle les yeux, la gorge, les poumons. Ce gaz pique la peau, s’incruste dans les vêtements. Il faut plus de 10 min pour retrouver une respiration normale. Certains vomissent, beaucoup pleurent. Les mères hurlent leur rage. Certains jeunes se décident à lancer des pommes, des pierres sur les forces de l’ordre. Les hongrois répliquent avec leurs karchers. La pression est telle que pendant une heure, c’est le chaos.
La rage, la fatigue, l’injustice, ça créé de la révolte, de la violence. Qui ne se révolterait pas lorsque de bons petits soldats gazent des enfants ? Du côté serbe, les policiers fument des cigarettes, rient de la situation, regardent passivement les gens courir, les enfants pleurer…. ce qu’il se passe ici, ça n’est pas leur problème.
La tension redescend, les jeunes se rassemblent à nouveau devant la barrière et reprennent leurs slogans de paix. « We just want peace ». Les gamins se remettent peu à peu des effets du gaz mais la peur est là. En face d’eux, des barbelés et des centaines de policiers.
Quelques minutes plus tard, une rumeur éclate, ils ont ouvert la frontière. On entend les applaudissements. La foule se reforme et les gens rentrent du côté hongrois. La frontière semble ouverte. Les mères prennent leurs enfants sous les bras et se remettent en route.
« Thank you, good luck and see you in Francia » dit un père de famille. Ça semble être un piège mais ils avancent.
Puis des cris, à nouveau du gaz, de l’eau à haute pression. Les gens font demi-tour, gazés à nouveau. Les enfants hurlent, les bébés n’ont même plus de réactions. La police charge.
C’était une blague.
Les gens ont pu avancer sur 30 mètres en Hongrie puis la police a chargé, gazé, matraqué, aspergé. Une journaliste revient en pleurs du « front » ; elle s’est faite matraquée par la police. L’air est irrespirable sur plusieurs mètres. Une mère hurle sa colère et son impuissance envers la police, sa fille de 8 ans la suit, elles se font à nouveau gazer. C’est aussi ça « Welcome refugees ».
Un camp s’installe à quelques mètres de la frontière, regroupant les 3000 personnes. D’autres arriveront demain. Pas d’eau, pas d’électricité, pas de toilettes, pas de nourriture. Rien. Nous sommes dans une prairie serbe à la frontière hongroise. Quasiment aucune assistance humanitaire et 3 personnes de l’UNHCR égarées.
Une file d’attente se forme au niveau du seul point d’eau. Les pères lavent les vêtements de leurs enfants, il faut enlever le gaz lacrymogène de leurs vêtements sinon ils risquent des allergies, des brûlures et des problèmes respiratoires.
Deux camions ramènent des denrées alimentaires, c’est-à-dire du pain. Aucune organisation pour la distribution alors c’est la cohue. On jette le pain aux gens comme on jette de la bouffe au bétail.
Bienvenue en Europe, c’est notre manière de vous faire comprendre notre niveau de considération envers vous et vos familles. On vous gaze puis on vous jette du pain.
2 bus vides arrivent sur place afin de dissuader les réfugiés de rester ici, à la frontière. Il y a un camp de réfugiés à quelques dizaines de kilomètres. Un bel enclos rien que pour vous ! Vous aurez de quoi manger et une couverture en plus ! Pensez à vos enfants, ne restez pas là… et puis de toute façon votre parcours est fini, il s’arrête là. Vous verrez, c’est bien la Serbie ! Et puis souvenez-vous…Si vous tentez une quelconque résistance…on recommencera à gazer vos gosses. Alors silence maintenant, montez dans le bus et allez au camp !