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Pour la deuxième fois, des exilés passés par la Grèce et qui ont aujourd’hui un titre de séjour quelque part en Europe sont revenus sur l’ile de Lesbos. Après dix jours passés sur place, ils adressent aux bénévoles grecs de PIKPA, le Village de Tous Ensembles, une lettre pleine d’émotion et de profondeur (voir aussi http://lesvos.w2eu.net/).
» Lettre aux amis du Village de Tous Ensembles
Chers amis et chères amies du Village de Tous Ensembles,
Tout d’accord nous voudrions tant vous remercier pour avoir lancé cette idée merveilleuse d’un centre d’accueil solidaire ! Vous faites vivre PIKPA maintenant depuis déjà 2012 – ce qui est un temps incroyablement long, surtout quand on voit ce que sont vos défis de chaque jour ! Nous sommes déjà venus en octobre dernier, et maintenant une fois de plus en août, avec encore plus de monde sur l’ile, une des portes de l’Europe pour les réfugiés. Beaucoup d’entre nous sont venus en Europe par la Grèce il y a plusieurs années et savent par leur expérience ce que les nouveaux arrivants doivent affronter et surmonter pour arriver ici. Nous n’avons pas de mots pour dire ce que signifie pour nous que vous essayiez de créer un espace d’accueil pour eux. Quand nous sommes arrivés, certains d’entre nous ont eu la chance d’être accueillis par le camp No Border de 2009, mais la plupart d’entre nous ont été « accueillis » seulement par la police et les prisons. Et ensuite, après que nous ayons été relâchés, personne n’était là pour nous aider à trouver notre chemin vers Athènes, la prochaine « étape » de ce voyage, et ainsi de suite. Cela touche nos coeurs que vous ayez créé un espace d’accueil et d’hospitalité – c’est nécessaire, et c’est la seule option possible pour dépasser ces frontières inhumaines.
Nous sommes revenus ici à Mytilène pour encourager et accueillir les nouveaux arrivants, et pour les aider pour la suite de leur voyage. Ces derniers jours ont été pour nous une expérience extraordinaire. Il nous a été possible de rencontrer et de parler avec des centaines de réfugiés nouvellement arrivés, et de leur apporter des informations, des contacts dans différents pays européens, et de leur donner de l’espoir. Ça a été possibl parce qu’il y avait un lieu à PIKPA pour qu’eux et nous nous rencontrions avant qu’ils soient emmenés pour être enregistrés par la police. Nous avons eu la chance de pouvoir donner de nombreuses informations avant cela. Nous avons réuni des informations utiles dans un guide (voir http://w2eu.info/pritings.en.html). Nous en avons distribué en anglais, arabe, farsi et français. Et nous aimerions vous proposer d’en laisser des copie ici et de le mettre à jour chaque année. Nous avons été tout particulièrement impresionnés par le travail que font les traducteurs tous les jours à PIKPA. Comme beaucoup d’entre nous ont une expérience de traduction, nous devons dire que c’est très fatigant dans une telle situation. Nous avons également souhaité bon voyage à des nombreux nouveaux arrivants dans le port de Mytilène – et ils ont été plus qu’heureux que vous et nous les entourions.
Néanmoins, il y a eu aussi de tristes moments pour nous. Nous voudrions partager avec vous quelques pensées pendant que certains d’entre nous sont encore sur l’ile. Nous savons bien que beaucoup d’entre nous ne sont ici que pour une courte durée, mais certains d’entre nous sont de toute façon partie de votre structure, et nous voudrions contribuer au travail extraordinaire que vous faites pour soutenir les réfugiés à cette porte de l’Europe. Les moments tristes sont dus au fait que les gens ne rencontrerons pas que des situations comme à PIKPA, mais qu’ils seront aussi confrontés aux gardes-côtes et à Frontex.
Les gardes-côtes sont entrés tous les jours à PIKPA avec les bus pour emmener les gens à la prison de Moria et les enregistrer, et en même temps faire un examen pour décider quelles personnes ils vont garder plus longtemps en prison. Beaucoup d’entre nous connaissent les prisons grecques. Certains d’entre nous ont été tout récemment libérés de prison grecques sur le continent où ils ont passé des mois – sans autre raison que d’être un réfugié. Nous sommes venus ici avec un but principal : en finir avec ce système de prisons. Nous sommes plus que tristes de voir que rien n’a été appris du passé, et qu’après la fermeture de Pagani nous voyons sur cette ile une nouvelle prison pour réfugiés.
Comme beaucoup d’entre vous nous sommes particulièrement inquiets du fait que les gardes-côtes ont utilisé PIKPA comme un espace où « stocker » les réfugiés nouvellement arrivés avant de les emmener en prison pour les enregistrer – sans suivi médical et pour une durée inconnue, certains sont déjà restés à-peu-près une semaine avant que les gardes-côtes viennent les prendre. Comme vous nous disons encore : PIKPA est un centre d’accueil ouvert et autogéré, et pas un lieu pour la police. Notre impression est que les gens comprennent bien ce qui fait la différence.
Nous demandons que l’enregistrement se fasse sans rétention. L’exemple de PIKPA montre que c’est possible. Nous avons vu de nos propres yeux ce qui appelé « centre d’accueil » à Moria et nous savons tous qu’il n’a rien à voir l’accueil, mais avec l’emprisonnement, l’humaliation et la sélection des êtres humains. Il serait simplement logique de laisser les gens aller librement à n’importe quel bureau pour un simple enregistrement qui leur permette de continuer leur voyage vers Athènes aussitôt que possible. Les quelques personnes qui souhaitent demander l’asile ici pourraient être hébergées plus simplement et avec moins de dépenses. Le nouveau Pagani de la Troika a coûté plus de 3 millions d’euros et ne peut évidemment pas être utilisé parce qu’il a simplement été oublié que des centaines de personnes devraient pouvoir aller aux toilettes et prendre une douche pendant qu’ils y sont gardés. Le lieu pour s’enregistrer ne peut pas être à Moria. Et il ne peut pas être à PIKPA, parce que ce n’est pas un lieu pour les gardes-côtes, la police ou Frontex. Les gens iraient dans leur propre intérêt s’enregistrer pour pouvoir embarquer sur les ferries pour Athènes après quelques heures de repos.
Nous espérons que vous aurez l’énergie d’imposer que PIKPA reste et soit établi comme un lieu d’accueil – et d’empêcher la police de s’approprier l’endroit.
PIKPA est un impportant symbole de solidarité – et ces dix derniers jours nous avons vu des centaines de réfugiés nouvellement arrivés qui ont fait l’expérience d’être les bienvenus. Nous souhaitons, à vous ainsi qu’à nous, toute la force et l’endurance. Vous pouvez toujours compter sur notre soutien.
Welcome to Europe et Jeunesse sans frontières
Août 2014 »
NDT : Pagani est le nom de l’ancien centre de rétention de l’ile de Lesbos, l’un des plus indignes de Grèce, fermé en 2009 suite à des protestations multiples. La Troika est l’association de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international, qui impose des politiques d’austérité drastique à la Grèce, et finance dans le même temps l’enfermement des exilés. C’est ainsi que le nouveau centre de rétention de l’ile de Lesbos, à Moria, est appelé « Pagani de la Troika ».